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L’accés aux cours permet de suivre “L’entrainement échiquéen” du maitre international Volodia Vaisman.
Interview accordé au magasin « Conversations littéraires »
jeudi 7 août 2008
par vaisman volodia
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Toute votre activité échiquéenne, que ce soit de joueur et entraîneur, de méthodiste et auteur, d’organisateur et vulgarisateur a toujours suscité beaucoup d’intérêt. Voilà pourquoi, nous vous proposons une discussion plus ample sur les Échecs et sur vous-même.

Qu’est-ce que vous a tant attiré aux Échecs ?

Dans une partie d’échecs, les « héros » semblent inanimés, leur « dialogue » est sourd-muet et leur danse se déroule en silence. Alors, la pensée du joueur ranime toutes ces figurines qui nous offrent ainsi des véritables représentations – chaque fois d’autres – en nous faisant passer par les émotions les plus diverses et profondes. Et plus lointaine est la révélation de la signification d’un coup, plus grand est le mystère de cette « intrigue » menée par l’intuition humaine. Mais rien ne peut rivaliser – en séduction et plaisir esthétique – avec le feu d’artifices des combinaisons car leur caractère surprenant, insolite et d’apparente paradoxe émerveille et enchante tout admirateur de l’art échiquéenne, donc moi également !

Des nombreux amateurs d’échecs -petits ou grands – rêvent d’arriver à la maîtrise échiquéenne. A votre avis, quelles qualités sont-elles nécessaires pour cela ?

La réussite, les succès aux Échecs sont déterminés par l’action simultanée de plusieurs facteurs, conditions et exigences dont voici les principales :

  • d’abord et avant tout, il faut apprendre à bien jouer aux Échecs et, pour cela, il faut du talent, se préparer tout le temps et faire des compétitions.
  • ensuite, il faut beaucoup connaître sur les Échecs et enrichir continuellement sa culture échiquéenne afin d’être capable de bien comprendre les subtilités et la profusion du « métier ».
  • mais le plus souvent tout cela ne suffit pas et les grands performeurs se détachent parmi ceux qui possèdent un caractère particulier et une forte volonté, qui ne craignent pas les difficultés voire les affrontent courageusement, qui savent se concentrer, s’auto-maîtriser et surmonter leurs émotions, qui mènent une vie saine et qui savent conserver ainsi et plus longtemps leur forme sportive.

Évidemment, pour ciseler, entraîner et mettre en valeur toutes ces qualités, il est indispensables d’avoir des conditions adéquates de vie et de travail, d’ambiance familiale et d’aide technique, d’entraînement et de compétitions.

Le joueur qui aspire à la maîtrise échiquéenne doit surtout savoir :

  • qu’elle ne s’acquit jamais à foison et de jour à lendemain mais petit à petit à la longue
  • que la montée sera longue at ardue, avec des années de préparation et de combats continues sur l’échiquier.

En quoi excellent les grands joueurs d’échecs ?

A quelques exceptions près, les grands champions ont été des gens extrêmement doués : une intelligence peu commune, un développement multiforme de leur personnalité, un fort esprit autocritique et exigence accrue envers eux-même, une énorme puissance de travail et une passion excessive envers les Échecs. Du point de vue strictement échiquéen, ce qui les caractérise (et les différencie en même temps) sont les particularités de la prise des décisions s’appuyant :

  • d’une part, sur leur mémoire créative et la force programmatrice dans l’appréciation des positions, l’anticipation de la direction et du résultat du combat sur l’échiquier
  • d’autre part, sur la capacité de réflexion non-standardisé et leur talent d’improvisation pratique.

Beaucoup de joueurs travaillent avec des entraîneurs...

Écoutez, aux Échecs il faut apprendre toute sa vie et cela peut venir de tout part. Aussi, la façon de penser d’une autre personne peut être intéressante, le point de vue d’un bon joueur doit être toujours prise en compte alors que l’avis -forcement compétent- d’un entraîneur dévoué à sa cause est estimable. Bien sûr, celui-ci est loin d’un entraîneur dans l’acception bien connue des sports physiques. Les Échecs sont « un monde invisible rempli de larmes », surtout chez les filles et les plus jeunes. Les autres joueurs sont plus introvertis, chacun avec ses angoisses, ses silences et ses secrets bien dissimulées. C’est pourquoi, les meilleurs entraîneurs d’échecs sont ceux qui réussissent à soutenir -avec beaucoup de tact et d’intelligence- leur élève, que ce soit par un mot, un geste ou un conseil appropriés ou d’agir énergiquement lorsque la situation l’impose. D’autre part, un bon entraîneur doit accorder à son élève toute l’indépendance de pensée nécessaire, de lui éduquer le sentiment de la responsabilité en préparation et s les compétitions, créer autour de lui une atmosphère psychologique agréable de création et d’étude scientifique des échecs. A mon avis,l’entraîneur de type autoritaire-inflexible, pédagogue-tracassier ou organisateur-empirique ne peut pas trouver sa place dans la performance échiquéenne. Au plan mondial, on connaît quelques « couples » célèbres : Karpov-Fourman, Spassky-Bondarevsky, Tal-Koblents etc. Chez nous, tout cela est en train d’évoluer et on assiste à certains « rapprochements »...

Dans quel état se présentent aujourd’hui les Échecs roumains ?

En général, en progression car ils s’appuient sur les mêmes valeurs internationales : Polihroniade et Baumstarck chez les féminines et Gheorghiu, Ciocàltea, Ghitescu, Subà chez les masculines, ensuite une génération moyenne fluctuante : Nutsu, Pogorevici, Jicman, Ilie chez les filles et Foisor et Negulescu chez les garçons. Mais ce qui me semble extrêmement important est la formation d’un groupe d’entraîneurs et de spécialistes compétents : Neamtsu, Radovici, Reicher, Pavlov, Nacht etc. qui nous offrent la garantie des bonnes performances à l’avenir.

Quelle est la situation dans nos contrées moldaves ?

Nous avons une riche tradition à défendre. Aussi, à Iassy ont déployé leur activité d’illustres animateurs et vulgarisateurs tels que : Victor Costin, Mikhail Sadoveanu, Aurel Lernovici, Constantin Caraman, ici ont veçu et créé des remarquables compositeurs tels que : Anatoly Ianovcic, Paul Leibovici, Milu Milescu, Octav Costàchel etc., ici se sont formé des forts joueurs comme : Andrei Winkler, Traian Ichim, Octav Troianescu etc. Dans la ville de Iassy est sortie entre 1927-31 la Revue roumaine des échecs, dans l’immeuble du n° 10, rue Làpusneanu a fonctionné le premier siège de la Fédération roumaine des Échecs et d’ici est parti l’appel de réunification des amateurs des échecs artistiques dans « l’Association des problémistes roumains ». La guerre nous a porté un coup extrêmement dur mais la courbe des performances des joueurs d’échecs moldaves est depuis quelque temps en train de se redresser. Actuellement, on a une équipe de l’Université de Iassy en 1ère division, deux autres clubs : Energo Bacàu et Nicolina Iassy sont en seconde division et les autres clubs luttent dans les matches de qualification interrégionaux. En dehors de moi, nous avons encore cinq maîtres : Margareta Perevoznic, Ovidiu Foisor, Marian Dominte, Adrian Marcovici secondés par 14 candidats maîtres dont 6 à Iassy, 3 à Suceava, par deux à Botosani et Piatra Neamt et un à Bacàu (d’ailleurs, les jeunes Gabriela Olàrasu, Dumitru Anitoaie, Nicolae Doroftei iront très loin).

Peut-on parler d’une véritable création aux Échecs ?

A première vue, les Échecs ressemblent à un jeu routinier où décident le volume de connaissances associé au degré de virtuosité technique, qui sollicitent un raisonnement lucide, un calcul rigoureux, une concentration de tous les instants. En réalité, le combat échiquéen renferme une forte dynamique qui échappe le plus souvent au regard du profane. Le jeu d’un maître implique une certaine ferveur, une passion fanatique et une participation émotive avec cette sensibilité pure de plaisir esthétique qui fait possible la création. C’est vrai que le jeu a beaucoup d’éléments scientifiques, une théorie analytique et beaucoup de voies déjà bien fouillées mais la variété des situations et le nombre pratiquement infini des suites possibles permettent toujours une approche originale, créatrice voire personnelle. Le savoir n’a jamais limité la création mais, bien au contraire, l’a toujours facilité. Et celui qui a beaucoup étudié le jeu d’échecs, qui a accumulé avec discernement toutes sortes de connaissances, qui s’est approprié les éléments de la maîtrise échiquéenne étant en même temps capable de le généraliser, il n’y a qu’un tel joueur qui pourra, dans ses instants d’élan intellectuel, d’improviser donc de créer en effleurant les sommets de la logique et de la beauté échiquéenne. La création échiquéenne est un produit exclusif de la pensée, c’est pourquoi elle emprunte le style de la personnalité du joueur, tout en se forgeant dans des conditions dure de temps limité et d’opposition acerbe de l’adversaire. Les Échecs sont un jeu de l’intellect, une sorte de confrontation philosophique qui entraîne, non seulement la pensée mais aussi l’âme – le siège de toutes nos valeurs esthétiques. Et le joueur peut ressentir, aussi bien l’extase su combat que le désespoir de l’imprévisible, la satisfaction de son succès que l’amertume de sa défaite. Mais le plus puissant et profond dans tout cela est le sens de la beauté. La brillance d’une partie suppose l’ingéniosité et l’originalité des idées, le spectaculaire et la déconcentration des sacrifices, la richesse et la rigueur des possibilités. Les belles parties sont récompensées par des prix de beauté, elles sont analysées, commentées et offertes ainsi au monde entier, pour rester dans le trésor des valeurs universelles et ravir, chaque fois qu’on les rejoue, les âmes sensibles des amateurs d’échecs de partout.

Comment expliquez-vous que beaucoup d’écrivains ont aussi aimé et pratiqué le jeu d’échecs ?

Le jeu d’échecs est pratiqué par des gens de toute profession et de niveau social divers. De toute évidence, les écrivains n’ont pas pu échapper eux-aussi à cela. Parmi les amateurs d’échecs, on peut citer des grandes personnalités telles que:Cervantes, La Rochefoucauld, Voltaire, Lessing, Goethe, Puskine, Poe, Kochanovski, Mickiewicz, Shakespeare, Dikens, Turgueniev, Tolstoi, Gorki, Cernàsevski, Alehem, Zweig etc. Chez nous, la génération des écrivains de 1848 considéra le jeu d’échecs comme « le loisir le plus agréable et instructif », il fut pratiqué par les « junimistes » alors que à Iassy, Codreanu, Topàrceanu, Teodorescu, Botez et d’autres ont couché sur le papier des merveilleuses pages sur leur jeu favori qui, comme le disait Sadoveanu, « confère une certaine noblesse, la noblesse de la quiétude et de la tolérance... qui nous offre ordre équitable, tranquillité, sourire amical...

De nos jours, les Échecs demeurent un ami fidèle et les écrivains l’apprécient et le pratiquent pendant leur temps libre. Aussi, j’ai eu l’occasion de passer à Iassy des nombreux instants de détente sur un échiquier dans la compagnie de Romanescu, Iacoban, Cutitaru, Sturzu, Turtureanu, Pricop, Dobrescu, Baboi, Balahur, Pascu etc.

Il existe des nombreux points communs entre l’art de l’écriture et celle des échecs : les deux s’appuient sur une théorie bien mise au point, représente la vie-même et a une certe valeur éducative-formative tout en offrant un champ large d’affirmation à l’improvisation, à la fantaisie et à la création. Chacun de ces domaines possède ses propres genres :

  • la partie pratique peut être comparée avec une pièce de théâtre – dramatique, tragique ou comique - avec leurs personnages, « dialogues », confrontations et dénouements où le bien triomphe toujours le mal.
  • les Échecs par correspondance sont un roman de plus grande extension alors que les parties rapides seront plutôt des nouvelles.
  • la composition artistique est une sorte de poésie, avec un contenu, une thématique et une idée, le tout présenté dans une belle forme et remplissant des conditions d’originalité et des satisfactions esthétiques.
  • les Échecs féeriques est la littérature scientifique-fantastique qui sollicite beaucoup d’imagination et de fantaisie.
  • l’analyse et le commentaire des parties ressemble à la critique littéraire
  • enfin, les simultanées et les démonstrations de toutes sortes peuvent être comparées avec vos habituelles rencontres avec le public.

En fin des comptes, l’écriture et les Échecs constituent des excellents moyens pour consolider les rapports entre les gens et les peuples !

 

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