La vie, une carrière, la réussite et le bonheur sont, hélas, des notions inconstantes et éphémères qui ne tiennent pas à grand-chose. Une fois arrivé au sommet de son art, on croit pouvoir profiter de certains avantages mais le nouvel rang fait surgir d’autres complications. C’est le problème de tous les artistes et sportifs se heurtant à la réalité socio-politique de leur pays.

En Roumanie, les communistes prônaient bien sûr la liberté, l’égalité, la démocratie, la coexistence pacifique et d’autres belles paroles mais, une fois arrivés au pouvoir, leur unique but était de garder par tous les moyens leurs privilèges. Et en l’absence de l’état de droit, l’omniprésente Sécuritate disposait de pouvoirs discrétionnaires, ses domaines d’intervention étant illimités : travail et logement, promotion ou sanction sociale-politique, dossier personnel et passeport etc. Auprès de l’embrigadement idéologique, la misère matérielle et la souffrance morale, elle savait aussi gérer l’angoisse et la terreur à l’aide de la délation qui pouvait surgir de partout. Or ma nature correcte et franche supportait difficilement la pratique de servilité totale envers la Fédération, le Comité des Sports, la Sécuritate et le parti.

La Roumanie était une grande prison en ciel ouvert et le pouvoir craignait toute « contamination » car les contacts humains avec l’extérieur amenaient des nouvelles idées et pouvait engendrer des comportements « capitalistes ». Alors, toute visite à l’étranger était amplifiée par les rivalités professionnelles et les jalousies de ses « collèges » et, de là, on entrait dans l’objectif de la Sécuritate qui n’attendait que cela pour raviver ses réseaux d’informateurs, effectuer des écoutes téléphoniques et des interceptions postales.

Visiblement, mon tour est venu : après le match pour le titre de champion de Roumanie, aucune sélection dans l’équipe nationale, pas d’invitation pour le tournoi fédéral de Bucarest, ni d’envois à l’étranger, ni de participation au National alors qu’étant parmi les premiers six classés, j’étais directement qualifié. J’étais, semble-t-il, mis à l’index.

Les explications ne peuvent qu’être présumées : j’ai dû, peut-être, contrarier « quelqu’un d’important », ou je suis devenu d’un coup « politiquement incorrect », ou encore à cause d’une intrigue du dirigeant de mon club qui avait des entrées à la Sécuritate, peut-être même le fait d’avoir demandé l’autorisation d’acheter ...une machine à écrire (évidemment pour mes articles et non pas pour écrire des manifestes) ?! Le moindre détail pouvait contrarier un crétin hautement placé ou attirer le moindre soupçon, ce qui entrainait un coup d’arrêt tacite, te tombant sur le cassis sans savoir d’où ça vient !

La première réaction fut de quitter ma ville mais on ne pouvait pas fuir la Sécuritate ! Aussi, la carte d’identité de chaque citoyen roumain se présentait sous la forme d’un carnet où étaient mentionnés : les données personnelles, son adresse, son groupe sanguin et ses enfants de moins de 14 ans. Il était formellement interdit de partir et de s’y installer dans certaines localités. Et, même si cela était parfois approuvé et tous les problèmes réglés (boulot, logement etc.), on était obligé de se présenter en 5 jours (24 heures dans une localité frontalière) à la police et se faire inscrire dans une carte d’immeuble dont un deuxième exemplaire était gardé par les autorités. Ils avaient un contrôle absolu de tout mouvement et l’hébergement des étrangers était interdit, avec une certaine tolérance pour les éventuels proches parents.

Après deux ans de harcèlement moral et professionnel, la rupture avec mon club est consommée. Professionnellement, un tel joueur et entraîneur comme moi ne pouvait pas rester longtemps sans boulot et, le soir même de ma démission, je suis contacté par le président d’un club d’échecs d’une grande entreprise informatique de la capitale qui avait des succursales dans plusieurs villes dont la mienne. Je démarre donc l’année 1980 dans un poste de statisticien de l’IIRUC de Iassy mais payé pour entrainer et jouer avec l’équipe d’échecs « Calkulator ».

En lui échappant sa proie, le camarade Nour continua longtemps à nous harceler au téléphone, avec toute une gamme d’invectives et de menaces ou envoyant des informations mensongères aux diverses autorités.

Écarté injustement de l’équipe nationale, chassé de mon club, poursuivi par un paranoïaque, nous commençons à penser sérieusement comment faire pour fuir la Roumanie...

La première chose à faire en 1979 était le match de départage pour le titre de champion de Roumanie contre Mikhaïl Ghindà. Mais, à l’aide de la Fédération, celui-ci a longtemps différé la rencontre jusqu’à ce qu’il achève sa préparation tout en m’amenant dans une période biorythmique défavorable : 1-8 Mars 1979. J’ai été ainsi obligé d’éviter mon répertoire habituel, avec des résultats conséquents : perte de 1ère partie en 40 coups, nulles dans les deux suivantes (31 et respectivement 68 coups), pour forcer jusqu’à la perte (55 coups) dans la 4ème.

Pourtant, la Revue d’échecs roumaine notait à cette occasion : « Volodia Vaisman a joué ouvertement et avec beaucoup de courage, il ne s’est jamais barricadé derrière une tactique annulant, en s’inclinant finalement d’une manière tout à fait honorable ... ».

Ne voulant pas me laisser mis au placard, je me contente d’une invitation personnelle en tant que touriste pour jouer un petit tournoi à Bialystok (Pologne) : Kirov 8 pts./11, Vaisman et Butnorius 7,5 pts., Lehmann et Meduna 6,5 pts., Szymczak 6 pts., Kosciuk 5,5 pts., Urzica et Pahtz 4,5 pts., Terzic 4 pts., Klimaszewski 3,5 pts., Grabczewski 2 pts.

V. Vaisman - H. Lehmann (Bialystok 1979)

1.c4 e6 2.d4 Cf6 3.Cc3 d5 4.Cf3 c6 5.cxd5 cxd5 (5...exd5) Fg5 Cc6 7.e3 Fe7 8.Fd3 0-0 9.0-0 Fd7 (9...b6) 10.Tc1 Tc8 11.De2 Ce8 ?! 12.Fxe7 Dxe7 13.a3 ! Cf6 14Tfd1 Tfd8 15.Fb1 Fe8 16.Dd3 g6 17.Fa2 ! Ca5 18.Ce5 Cd7 19.f4 f6 ?! 20.Cf3 Cb6 21.e4 ! Ca4 22.Cxa4 Fxa4 23.Te1 Dd7 24.exd5 exd5 25.Tc5 ! Txc5 26.dxc5 Fc6 27.Cd4 Te8 28.Txe8+ Dxe8 29.Rf2 Rg7 30.De3 Cc4 ? (sur 30...Dd7 31.De6 !) 31.Fxc4 dxc4 32.Dxe8 Fxe8 33.Ce6+ Rf7 34.Cd8+ Re7 35.Cxb7 Re6 36.Re3 Rd5 37.Cd6 Fc6 38.Ce4 f5 39.Cf6+ Rxc5 40.Cxh7 Fxg2 41.Cf8 Fh3 42.Cxg6 c3 43.bxc3 Rc4 44.Ce5+ Rxc3 45.Rf3 (avec la variante concluante : 45...Rb3 46.Rg3 Ff1 47.h4 Fe2 48.Cf3 Rxa3 49.h5 Fc4 50.h6 Fg8 51.Cd4 suivi de la montée du Roi blanc en g7) 1-0

R. Grabczewski - V. Vaisman (Bialystok 1979)

1.e4 c5 2.Cf3 d6 3.d4 cxd4 4.Cxd4 Cf6 5.Cc3 a6 6.Fg5 e6 7.f4 Dc7 8.Df3 b5 9.0-0-0 (9.Fxf6 gxf6 10.e5 etc.) Fb7 10.Fd3 Cbd7 11.The1 0-0-0 !? 12.a3 ?! (12.Dg3 b4 13.Cb1 Fe7 etc. ou 12.f5 e5 13.Cb3 Fe7 etc.) h6 13.Fxf6 Cxf6 14.h3 Fe7 15.f5 e5 16.Cb3 Rb8 17.Rb1 Tc8 18.Tc1 Cd7 19.g3 h5 20.Cd1 Fg5 ! 21.Ce3 Db6 22.Tcd1 Cf6 23.h4 Fxe3 24.Dxe3 Dxe3 25.Txe3 Ra7 26.c3 Thd8 27.Tde1 Rb6 28.Cd2 Td7 29.Cb3 Tcd8 30.Tc1 Cg4 31.Te2 d5 ! 32.exd5 Fxd5 33.Fc2 Fc4 34.Tee1 f6 35.Tcd1 Txd1+ 36.Txd1 Txd1+ 37.Fxd1 Ce3 ! (0-1)

Un match amical avec l’équipe de la ville de Piatra Neamtz me permet un 2-0 sec contre Mikhaï Florea. Ensuite, j’ai fait un tabac au 1er échiquier contribuant ainsi au maintien de notre équipe en Nationale A, alors que mes jeunes sont devenus champions de Roumanie 1979.

V. Vaisman - P. Stefanov (Herkulanes 1979)

1.Cf3 c5 2.b3 Cf6 3.Fb2 e6 4.e3 Fe7 5.c4 0-0 6.Cc3 b6 7.d4 cxd4 8.exd4 d5 9.Fd3 dxc4 (plus solide est 9...Fb7) 10.bxc4 Fb7 11.0-0 Cc6 12.Tc1 !? Tc8 13.De2 Dd6 (si 13...Cxd4 ? 14.Cxd4 Dxd4 15.Cd5 Dc5 16.Fxf6 gxf6 17.Dg4+ Rh8 18.Dh4 +- ou 13.Cb4 14.Fb1 Fxf3 15.Dxf3 ! Dxd4 16.Cd5 Dc5 17.Dh3 ! +-) 14.Tfd1 Tfd8 15.Fb1 Ca5 (dans une telle structure de pions « pendants », il faut faire très attention :15...Df4 16.d5 ! etc.) 16.Ce5 Ff8 17.Cb5 Db8 18.d5 ! exd5 19.Cxf7 ! (pour faire sortir le Roi noir de sa tanière : 19..Rxf7 20.Fxf6 gxf6 21.Dh5+ etc.)

	19...Te8 ! 20.Df3 dxc4 ? (20...d4 21.Ch6+ Rh8 22.Dh3 Fe4 ! 23.Fxd4 etc.) 21.Ch6+ Rh8 22.Dxf6 !! (sacrifice spectaculaire de Dame qu’il faut accepter car 22...c3 23.Df7 Fb4 24.Dg8+ ! Txg8 25.Cf7#) 22... gxf6 (ou 22...c3 23.Df7 Fb4 24.Dg8+ !) 23.Fxf6+ Fg7 24.Td7 ! De5 (si 24...Fxf6 25.Txh7# ou 24...Tg8 25.Cf7 #) 25.Cf7+ (force le mat : 25...Rg8 26.Cxe5 Fxf6 27.Fxh7+ etc.) (1-0)

R. Szmetan - V. Vaisman (Herkulanes 1979)

1.d4 d6 2.c4 g6 3.Cc3 Fg7 4.e4 e5 5.d5 (5.Cf3, 5.dxe5 dxe5 6.Dxd8+ Rxd8 7.f4 etc.) Cd7 (5...f5, 5...Ce7, 5...Cf6, 5...a5, 5...c5, 5...Ca6 etc.) 6.f3 (6.Fe3, 6.Cf3, 6.g3, 6.h4 etc.) f5 7.Fe3 Fh6 !? 8.Fxh6 Dh4+ 9.g3 Dxh6 10.Fg2 Cgf6 11.exf5 ?! gxf5 12.Cge2 a5 13.0-0 Cc5 14.Dc1 Dg7 15.Td1 h5 16.Dc2 h4 17.Rf2 Fd7 18.Tab1 Re7 19.b3 Tag8 20.Tg1 hxg3+ 21.hxg3 f4 22.g4 Fe8 23.Tbd1 Fg6 24.Dd2 Cd3+ 25.Rf1 Th2 26.Cc1 Cxc1 27.Dxc1 b6 28.Th1 Txh1+ 29.Fxh1 Dh7 30.Fg2 Tf8 31.Dd2 Rd8 32.Rg1 Th8 33.Rf1 Dh2 34.Df2 e4 ! 35.g5 e3 36.Dg1 Dxg1+ 37.Rxg1 Ch7 38Ce2 Tf8 39.Td4 Cxg5 (si 40.Cxf4 Fb1 etc. mais les Blancs tombent au temps) 0-1

Pour le moment, je m’acquitte consciemment de mes obligations envers ma nouvelle équipe et nous obtenons deux excellentes places : 2ème au Championnat de Bucarest et 4ème au National A de la station Neptun.

V. Vaisman - J. Armas (Bucarest 1980)